Escales
un Mahé 36 en vadrouille
Accueil > blog
Jeudi, 11h. Le ciel est encore voilé aujourd’hui. Je recharge à peine à 5A, la batterie est à la limite, 12.06v.
13h. Un petit tour dehors pour regarder le réglage des voiles. Tiens, la latte de ma GV est à moitié sortie ?!?!?
Je fonce (façon de parler, à 4 pattes on ne va pas très vite) en pied de mât, grimpe sur le roof et toujours à 4 pattes m’accroche à la baume jusqu’à la bordure.
Evidemment avec le vent, impossible de remettre la latte en place. J’en profite pour regarder les autres, cela dit : tous les bouchons sont dévissés, autant pour Delta Voiles Marseille qui refusait de mettre du Loctite parce que “oh, ceux là, avant qu’ils se dévissent …”. Jusqu’au bout ils auront été mauvais.
Retour au poste de barre, j’affale la voile.
Retour sur le roof, je bataille pendant 15min avec la voile, toujours rien.
C’est la goutte d’eau (salée) qui fait déborder l’océan.
Sans doute qu’en faisant les choses bien, en positionnant le bateau face au vent, grand-voile hissée juste ce qu’il faut, et faseyante, j’y arriverais. Peut être. Sûrement même, si j’avais mes deux jambes.
Mais la mer est encore trop forte pour que j’imagine seulement essayer de me tenir debout. J’ai mal comme un chien à ma cheville, et surtout, j’en ai marre, vraiment.
Alors je reste avec la voile affalée, et je redescends au poste de barre. Je mets le moteur (celui qui est valide), et je vais m’affaler sur ma couchette.
Il me reste trois jours de navigation jusqu’aux Canaries. C’est largement faisable.
16h. Le coupleur de batterie n’est toujours pas en marche. Je prends le risque de mettre le moteur babord en marche pendant 1h pour récupérer un peu de jus.
Miracle, après ça, le coupleur fonctionne et les batteries chargent à fond … va comprendre ?
Je peux tout rebrancher, musique, frigo & co. Au moins une bonne nouvelle !
23h. J’ai toujours mon réveil sur 20min, mais je n’ai plus les alertes permanentes de la station de Tarifa, je suis - enfin - trop loin pour les capter. Peu de navigation également, ce qui veut dire que les alarmes de proximité sont quasi inexistantes. Bref, je peux enfin dormir.
Vendredi 12h. La mer est enfin calme, il n’y a plus que la longue houle de l’Atlantique, ce paysage de collines linéaires bleutées qui soulèvent doucement le bateau par l’arrière, passent dessous, et le redéposent doucement deux mètres plus bas. C’est régulier et berçant. Ca repose.
14h. Un petit tour du bateau, pour faire un petit check up. Un calamar s’est échoué sur une des coques, près du trampoline. Il est visiblement mort depuis longtemps, il commence à sentir. Il a lâché de l’encre partout, se défendait-il de ce monstre blanc qui le retenait prisonnier hors de l’eau, ou bien relâche post-mortem ?
Je vois passer pas très loin, peut être 100m, un banc d’une dizaine de dauphins. Ils sont visiblement joueurs, ils sautent les vaguent, des bonds graciles à près d’un mètre de haut.
Plus tard, c’est un autre groupe, ceux là, on les distingue à peine. On les sent pressés, ils affleurent la surface de l’eau juste pour respirer. Où vont-ils ainsi, sont-ils en chasse ?
Les batteries sont chargées, à fond. Le radar tourne maintenant en permanence, jour et nuit, je n’ai plus à me soucier de sa consommation électrique. Son mode sentinelle m’autorise de prendre un peu plus de repos, il y a de toute façon très peu de trafic, je peux enfin dormir par période d’une heure.
Samedi.
J’ai depuis hier soir, venus d’on ne sait où, un couple de libellules. Elles sont sur les filières du bastingage, changeant de position dans la journée, selon le soleil et le vent j’imagine.
J’avais eu aussi, mercredi soir, je crois, un papillon qui avait atterrit sur le bateau. Je lui avais mis un peu de sucre à côté de lui, le matin il n’était plus là, avait-il retrouvé des forces ou s’était-il fait emporté par une rafale ?
Ma seule activité consiste, outre la surveillance des bateaux, à regarder l’évolution des courants qui me poussent tantôt vers l’Est, tantôt vers l’Ouest. Le vent n’est plus un problème, de facto, et la mer s’est calmée.
Je dors par tranche de 30min, je mets de la glace sur ma cheville, je lis. La journée passe tranquillement, et la nuit.
Dimanche, 5h30.
Pas assez dormi, mais je suis à moins de deux heures des côtes, un bout de caillou à quelques milles au nord de Lanzarote. Pas question de prendre le risque de ne pas entendre mon réveil, comme ça m’est arrivé une ou deux fois. Je peux être fatigué, j’arrive.
8h. J’aperçois la terre, ca va faire du bien d’arriver.
14h. A la marina, amarré. Je m’écroule sur ma banquette, dors 4h d’affilée. Et la nuit sera encore bonne.
Tout cela n’était, au final, pas très glorieux.
Mardi, 23h. Il y a des hauts fonds dans le coin, avec cette mer, je préfère les éviter, ça serait pire. J’abats vers l’ouest. Le vent souffle encore en rafales à plus de 30 kt.
Impossible de dormir. Je dois vérifier que le pilote tient le coup, c’est la première fois qu’il rencontre ces conditions, il faut que j’apprenne à lui faire confiance. Sans compter les courants, qui tendent à me pousser dans cette zone où les fonds remontent rapidement de plus de 500 à moins de 50 mètres.
Mercredi, 00h30. Le rail est passé, j’ai eu de la chance, tout était clair. Le vent est toujours établi au dessus de 25kt, et ça devrait durer jusqu’à la fin de la nuit. Avec mon RM (voir ici), j’aurais été sous génois ou trinquette seule. Mais pas en cata, alors c’est toujours sous grand voile seule, avec deux ris.
06h30. Le vent a baissé, comme prévu. Mais je ne fais rien pour l’instant, trop besoin de prendre d’un peu de repos, j’ai du dormir moins d’1h30 cette nuit, entre les alarmes AIS, les alarmes des appels VHF de Tarifa, pour répéter, encore et encore, l’avis de recherche du chalutier marocain perdu depuis deux jours, et mes réveils programmés toutes les 20 min.
La douleur de la cheville est à la limite du supportable, allongé. Pas question de marcher, sautiller, ou envisager une manœuvre qui ne soit pas essentielle.
08h30. Le soleil s’est levé, je longe un brouillard côtier. Un cargo me croise, à un mille, je ne peux le voir - son ombre - que lorsqu’il est à ma hauteur. Je décide de faire de l’ouest, à la fois pour m’en éloigner et toucher du soleil (pour les batteries, et le confort), et aussi pour garder le vent, sensé faiblir à l’Est dans la journée.
Je vais à quatre pattes en pied de mât lâcher mon ris et renvoie de la toile, et déroule le génois.
Encore beaucoup de cargos, qui quittent ou rejoignent la Méditerranée. Ça bipe dans tous les sens.
14h00. J’ai bien avancé, entre 4 et 5 kt, mais le vent a fini par s’éteindre. Je roule le génois, mets le moteur. Une demi-heure plus tard, je dois affaler la grand-voile, qui claque trop dans cette mer encore très formée. Impossible d’avoir un appui stable sur un seul pied, je suis à genoux sur le roof pour pouvoir la ferler.
16h00. Je renvoie la toile, le vent est revenu, 20kt en régulier et 25 en rafales. Je reprends un Doliprane, la douleur devient gérable.
19h15. La nuit approche, il faut me préparer. Le vent est toujours aussi fort. J’abats, pour réduire le vent apparent et me donner de la marge, et faciliter le passage dans les vagues, qui viennent maintenant de l’arrière, ou presque. Le bateau file toujours, entre 7 et 8kt. Si j’étais correctement toilé, je pense que je toucherais les 9-10kt. Mais même dans ces conditions, je fais des surfs à plus de 12kt. Aucune envie, ni besoin d’aller plus vite. Encore moins de devoir faire une manœuvre.
21h. Je réduis le génois à un mouchoir de poche, je retrouverai peut être un peu plus de confort à aller moins vite ?
Tout valdingue dans la cabine pendant la nuit. Le bateau craque, gémit, mais encaisse. Alors que j’ai la mer dans mon trois-quarts arrière, une vague venue de travers explose contre la coque, et fini dans le cockpit.
Jeudi, 3h00. Le vent a baissé, largement, mais pas la mer. Je suis incapable de faire autre chose que sautiller jusqu’à la table à carte et infléchir légèrement le cap vers l’ouest, pour retrouver un meilleur angle du vent et augmenter ma vitesse.
4h30. Un cargo de plus de 300m se déroute devant moi, largement. Mon alarme m’avait déjà prévenu de sa présence et je le surveillais. Je remercie le capitaine, qui ne se doute pas du bien qu’il me fait à m’éviter des manœuvres.
5h00. Le vent devient instable. Je déroule le génois pour retrouver un peu de puissance.
Je suis HS, encore peu dormi, toujours autant d’alertes VHF, d’alertes anti-collision, et le bateau qui tape, tape …
8H00. Avec le temps brumeux de la veille, mes batteries n’ont pas pu charger. Deux jours d’utilisation assez intense, et je suis à la limite, à peine au dessus de 12v. Je débranche tout ce qui n’est pas nécessaire, frigo, musique, iridium, etc. J’espère que la journée sera plus ensoleillée. Il vaut mieux : le moteur chargé de recharger les batteries en cas de besoin est justement celui qui est HS.
Mon inquiétude augmente, avec les nuages de haute altitude que je vois se propager dans le ciel. Verdict ce soir.
Mardi 8 octobre
J’ai réservé mes billets d’avion depuis plus d’un mois, les amis et la famille ont les dates. Je croyais avoir le temps, mais je suis à la bourre, coincé à Gibraltar avec un moteur HS (lien), et j’ai beau regarder la météo je ne vois pas de bonne condition pour entamer la traversée : beaucoup de vent d’Est (>25kt) pour quitter Gibraltar dans les prochains jours, et ensuite une dépression qui amène des vents plus forts encore d’Ouest (dans le nez), jusqu’au milieu de la semaine suivante. Impossible d’attendre jusque là, j’arriverais trop tard aux Canaries. Presque sur un coup de tête, voyant trois bateaux quitter la marina pour la traversée, je me décide : ce sera aujourd’hui, maintenant (13h).
Dans la baie, le vent est faible, 10 kt à peine. J’anticipe le détroit, grand voile à 2 ris, génois pour équilibrer. À la sortie de la baie, on est déjà à 15/17 kt, et tout le long du trajet jusqu’à Tarifa, l’endroit le plus étroit, il ne fera que monter, régulièrement, doucement. Si je n’avais pas été au courant, je me serais sans doute fait surprendre. J’appelle un bateau français avec qui j’avais discuté, ils ont une bonne heure d’avance sur moi, ils m’annoncent des vents de 40kt à Tarifa.
La mer grossit, avec le vent. Les courants sont encore dans le sens contraire, parfois jusqu’à plus de deux nœuds. Les vaguent déferlent, à ces endroits. Déjà le pilote automatique s’est fait avoir, j’ai empanné « à la sauvage », heureusement dans des conditions encore maniables. Le vent est dans le dos, la mer aussi, le pilote rame et je n’ai pas encore franchi Tarifa, ça promet. Je décide d’affaler ma grand-voile, et de me laisser pousser par le vent. A franchir Tarifa, je vais, à sec de toile, à plus de 4kt (hors courants) !
Le premier rail est derrière moi, le deuxième encore bien devant. La nuit va tomber, je dois décider si je traverse maintenant, de jour, ou après le deuxième, de nuit. Mais il y a encore beaucoup de trafic, sans compter le traversier, entre l’Afrique et l’Europe, et la mer est encore très forte et désordonnée, et le vent encore régulièrement à plus de 30kt. Je décide d’attendre.
22h, le vent est plus maniable, et la mer également. Le deuxième rail est passé, je décide de hisser un bout de grand-voile, et traverser le trafic, j’aurai le vent de travers. Je me cale à peu près face au vent, un peu de travers à la mer, défait les sangles de retenue, et me prépare à hisser quand je vois que la drisse est prise dans les haubans. A remonter sur le roof, donner du mou à la drisse, l’agiter par grandes ondulations, en espérant que … oui, elle se décroche. Vite redescendre au poste de barre, pour reprendre le mou avant que ça ne recommence.
Avant même que mon pied ne touche le pont, j’ai su que ça serait mauvais, que la position n’était pas la bonne. Une milliseconde plus tard, j’avais la confirmation : j’ai hurlé de douleur quand le pied - gauche, heureusement - s’est tordu. Appuyé contre le roof, je me mets à jurer comme un charretier et me maudire : je viens de faire exactement ce qu’il ne fallait pas, confondre vitesse et précipitation.
Clopin-clopant je rejoins le poste de barre, hisse la voile, toujours avec ses deux ris, mets le cap au sud, et fonce à ma pharmacie prendre un Doliprane. La douleur est intense, mais encore supportable (adrénaline ?), ça ne durera sans doute pas longtemps.
Il me reste encore à traverser ce putain de rail.
Tout ce que je voulais éviter. Plus je me rapproche de Gibraltar, plus je me rends compte que je vais devoir courir pour tenir mes délais, que je pensais pourtant larges (mais ça, c’était avant [1]).
La succession de coups de vent, tempête ou même ouragan [2] rend visiblement impossible tout régime de vent stabilisé, autre que de l’ouest, donc, dans le nez. Compliqué donc de viser des sauts de puce d’une journée jusqu’à Gibraltar. Il va falloir que je fasse des « grandes » étapes de deux ou trois jours.
Mais la navigation côtière est la plus compliquée en solo : c’est là où il y a le plus de trafic (cargos, ferrys ou autres paquebots), autres bateaux “de plaisance”, sans compter les pêcheurs, leurs casiers et leurs filets.
Je le savais déjà de bel ami, mais j’étais sur la façade atlantique qui permettait assez facilement de se dégager au large, loin des zones de pêche ou de trafic.
Visiblement c’est “un peu” différent ici : la proximité de Gibraltar rend le trafic commercial très dense, et chaque cap ou presque possède sa DST [3] ; la côte est proche ; le système de vents est très changeant, presque heure par heure ; tout cela rend la veille, particulièrement de nuit, très stressante et rend les périodes de repos (le vrai, celui où l’on dort vraiment et profondément) aléatoires. Je n’ai pas dû réussir à dormir plus de 2h en cumulé sur la dernière nuit avant d’arriver sur les côtes espagnoles.
Pas de grande traite jusqu’à Gibraltar, donc, des (grands) sauts de puce, en s’appuyant largement sur le moteur, surtout la nuit.
Probablement un arrêt après Alméria, c’est tout. Deux navigations de près de 180 milles, soit (normalement), une seule nuit de navigation à la fois. Maximum.
Ce qui devrait me laisser quelques jours de répit à Gibraltar pour choisir au mieux la météo, le meilleur créneau pour aborder la sortie du détroit et les près de 600 nM de navigation vers Lanzarote (5 à 6 jours estimés).
[1] avant la carte qui faisait des siennes
[2] Lorenzo
[3] Dispositif de Séparation de Trafic, sorte d’autoroute quasi obligatoire pour les plus grands navires, qui se suivent alors à la queue-le-leu, sur plusieurs dizaine de milles
Me voilà bloqué à Ajaccio depuis bientôt trois semaines pour des soucis de téléphone satellite. Rien de rédhibitoire en soi, c’est un outil qui n’est pas indispensable pour naviguer, même au large. Me concernant (et dans la mesure du possible), je ne partirai pas sans, sans possibilité de prendre la météo en mer, garder un contact, pouvoir contacter le CROSS, voire être appelé.
J’ai d’abord eu des soucis de SMS, qu’il refusait d’envoyer. Puis début août, il ne pouvait plus se connecter au réseau Iridium. Retour au fournisseur, qui fut particulièrement lent (10 jours pour les USA, merci Chronopost 😡). Il s’avère finalement que le coupable était la carte SIM, défectueuse🤔
Donc, après plus ou moins 3 semaines d’attente, je devrais bientôt pouvoir repartir. Il était temps, les températures baissent dangereusement, il est temps d’aller vers le sud !
Exit la Sardaigne, je ne courrai pas après la montre. Direction les Baléares, puis l’Espagne et les Canaries.
Jusqu’à ce que ça change, bien sûr 😉
Vos commentaires
# Le 13/10/19, Rouquette En réponse à : Courage, fuyons !
Ptends soin de toi et enjoy (quand même !).
Bisous.