un Mahé 36 en vadrouille
Escales est un catamaran Fountaine-Pajot Mahé 36 de 2007. Je navigue en solitaire, avec mon chien GG adoptée à Grenade, dans les Antilles, après une transatlantique début 2020.
Dimanche 9 février
La mer s’est calmée. Enfin, non, pas vraiment. Disons qu’elle s’est « étalée », qu’elle a pris ses marques, entre houle et houle secondaire, l’une tamisant l’autre, elles se combinent en une troisième, de biais. C’est confus, ça secoue, mais au moins les coups de butoir sous la plateforme, juste entre les deux coques, sont passés de constants à exceptionnels. C’est « normalement » confortable, enfin.
Curieusement avec mon rythme d’hippocampe (je ne suis pas sûr qu’on trouve beaucoup d’escargots sous la mer), j’ai quand même fait 120 mille sur ces dernières 24h, j’aurais pensé moins.
J’ai terminé hier le deuxième tome d’Hyperion, je l’ai dévoré, il me tarde de lire la suite. J’ai enchaîné aujourd’hui avec Barjavel, que j’avais déjà lu en son temps et dont le Grand Secret, maintenant comme autrefois, se dévore à toute allure. C’est plus facile, plus daté, mais c’est quand même bon.
m’a abandonné, lâchement, en cours de chargement de la météo : il ne répond plus à aucune commande, et plante au moindre bouton d’instruction ou affichage. Heureusement il semble encore bon à récupérer la météo. Heureusement (bis), j’avais aussi acheté Navionics « pour au cas où ». Eh bien le voilà.
Lundi 10 février
Voilà, j’ai atteint « l’autre » 1000 milles, celui avant l’arrivée. Comme les alizés soufflent d’est en ouest, je vais faire un peu plus puisque je dois faire des zigzags autour de cet axe, mais je pense raisonnable de tabler sur une arrivée avant le 22.
Retour du soleil aujourd’hui, le plafond nuageux a fini par se crever. Je retrouve du coup ce soir la lune, pleine, qui illumine la mer de mille feux, c’est spectaculaire. J’aurai eu de la chance de l’avoir avec moi tout le long du trajet.
Mardi 11 février
La mer est toujours parée de son petit panache blanc, mais sous le soleil, cette livrée ne fait que mieux ressortir le bleu intense de l’eau, chargé de profondeur. J’ai vu mes premières sargasses, juste des rameaux isolés. C’est bien tôt, et bien loin. Par contre, peu de poissons volants. Trois se sont échoués sur Escales en tout, sur les trois derniers jours. Et à peine quelques uns qui s’envolent devant moi, apeurés. Ils ont quelque chose de magique à regarder dans leur vol, s’évertuant à rebondir, encore et encore, sur la prochaine vague, d’un énergique coup de queue.
Je croise le Heroic Ace. Le précédent, vendredi dernier, était sur la route Europe - Amérique du Sud, celui là sur celle USA - Afrique. Avec la houle, je ne l’ai vu qu’à 1/2 heure de moi, ses lumières étaient plus faibles que les étoiles, et apparaissaient / disparaissaient au gré de la houle. Quel hasard fait que nous nous retrouvions ainsi, au milieu de rien, à presque équidistance des Amériques et de l’Afrique, à moins de deux kilomètres ?
Il est 20h, 23h à Paris. La lune se lèvera plus tard, elle n’est pas encore prête à faire son entrée.
Position du moment 15°25N 44°52W
Jeudi 6 février
Temps gris, aujourd’hui. Un gris vaguement bleuté au plus haut, qui laisse parfois passer un faible éclat, assez diffus, de soleil. Et juste dessous, des petits moutons, en rangs assez serrés, d’un dégradé de gris. Alors la mer est grise, sauf pour l’écume des vagues, blanche, lorsqu’elles se heurtent à la houle.
La machine a laver s’est remise en route, l’accalmie aura été de courte durée. Et c’est sans compter la belle augmentation des alizés qui est promise pour cette fin de semaine.
Au gré des rafales, je gagne un jour, ou deux, puis les perd presque aussitôt dans les estimations d’arrivées. C’est encore loin, de toute façon, plus de dix jours.
Vendredi 7 février
Tu n’es pas belle, quand je te regarde maintenant, blanche d’écume comme de rage contenue, plissée de mille rides qui troublent à peine les chemins tortueux que les vagues dessinent et effacent aussitôt. Tu es brutale, sonore, jaillissante, impétueuse.
J’ai rencontré un navire, aujourd’hui, le Sakizaya Respect. A plus de 20km de moi, il trace sa route vers le sud ouest, le Brésil. Je me demande s’il ressent cette houle, s’il est destabilisé aussi par ces vagues qui viennent taper contre son flanc.
« on » me dit qu’il n’y a aucun retour à la ligne dans mes textes, un bug. Ca doit être doublement indigeste à lire, ces carnets :-) (désolé, hein, pour ceux qui s’accrochent)
Samedi 8 février
C’est amusant comme l’appréhension disparaît aussi vite que l’évènement est là. Les 30 nœuds ont surgi plus tôt qu’espéré, et plus fort, bien sûr. Pendant plus de six heures, j’ai surveillé le bateau, regardé comment il naviguait dans ces rafales à plus de 35 kt, apprécié comment le pilote récupérait la situation quand il partait en surf à plus de 14 kt dans près de 3 mètres de creux. Tout allait bien, sauf le confort. Impossible de se marcher sans se tenir fermement, les objets qui tombent au sol, le bruit incessant, et fort, de l’eau sur la coque, du vent dans les haubans, des craquements du bateau. Alors j’ai fait comme d’habitude : sous-toilé, grand voile affalée, un bout de génois à l’avant, le bateau avance tout tranquillement, se dandine un peu, le silence est retombé, juste brouillé par les grésillements erratiques de la VHF. C’est doux, presque calme, en tout cas confortable. Voilà qui me fera le WE et le temps que passe cette bourrasque.
Position du jour 16°11N 37°55W
J’espérais que voyager cette fois en camping-car t’offrirait au moins plus de confort : un doux bercement plutôt qu’une essoreuse... A côté de tes aventures, je pense qu’on pourra accepter l’inconfort de te lire sans retours à la ligne ! Tranquillement posés à terre, on t’envoie du soleil et du vent. Biz
Lundi 3 février
Une heure du mat’, j’ai des frissons, je claque des dents et je monte le son … Clac, fait la voile en tombant dans le dévent : je réalise soudainement, le vent qui vire, 40°, me tirant au passage du royaume de Morphée. Le temps d’empanner, clac clac, et c’est reparti, mais dans l’autre sens. Une heure sur le pont, à attendre qu’il se stabilise, ça semble être bon.
Avec un peu de chance, ce régime méditérannéen de chasse au vent qui tourne et se cache est terminé. Place aux alizés, ou ce qu’il en reste, ils n’ont pas l’air bien vaillants.
Je viens de passer le Cap Vert et, 1000 milles (soit env 1800 km) depuis les Canaries.
Comme d’habitude, les prévisions étaient sous-estimées, le vent est bien là (et la mer aussi, façon machine à laver).
Mardi 4
Je leur avais dit, à ceux que la traversée effrayait, du haut de mon expérience de vieux loup de mer avec une seule transat à son actif : “vous verrez, un vrai tapis roulant. Inconfortable, mais un tapis roulant”.
Comme d’habitude j’aurais mieux fait de fermer ma grande gueule. Parce que, hopitin ! Je le savais, hein, je le savais. Mais j’avais oublié, d’une force !, que c’était inconfortable !
Plus de bateaux à mon AIS depuis hier soir, c’est à dire aucun cargo à moins de 100 milles, aucun voilier à moins de 30 ou 40.
J’ai eu les Tibor par sms, ils sont un peu plus au nord que moi, 560 milles devant environ. Ils se traînent, un peu comme moi.
Mercredi 5
J’aimerais bien connaître le nom de ce petit oiseau rase-les-vagues, à peine plus gros qu’une hirondelle. Je me demande bien ce qu’il peut trouver à manger dans cette étendue désertique.
Dérouté (mais de peu) à la demande du CROSS pour prendre des nouvelles d’un voilier avec malade à bord, ils font route vers le Cap Vert, contre vents et courant. Ca doit être dur à bord. Finalement, j’aurai couru plus de temps que prévu, près de 6h, à la poursuite de ce bateau, tout ça pour deux maigres conversations VHF. Qu’importe, il m’a dit que cela lui avait fait du bien, mais il a aussi dû être déçu, pensant sans doute que je l’escorterais jusqu’à Mindelo. « réconfort moral », avait dit le CROSS. J’ai fait ce que j’ai pu : pas grand chose.
Finalement la mer s’est un peu calmée, ou alors elle a tourné, c’est plus probable. La navigation est presque belle, du coup.
Le samedi, c’est jour de gazette. Mais je n’ai pas le talent d’un Rostand, ni la vie aussi trépidante qu’un Cyrano. On ne m’en voudra donc pas de ce style télégraphié, et de ces répétitions banales autour de ces quatre thèmes : trouver du vent, trouver du vent, trouver du vent, (se reposer).
Vendredi 31
Nuit calme, au moteur, RAS.
Le vent se relève en début de matinée, il tiendra, avec toujours trop d’est.
RAS. C’est à dire : tout va bien, le vent, le bateau, l’équipage et le soleil.
Samedi 1er février
Le vent est -un peu- monté dans la nuit, une quinzaine de nœuds. Mais il est retombé, comme un soufflé, en début de matinée.
3h de moteurs, et je remets les voiles, ça fait du bien un peu de silence.
Un peu d’Ouest pour changer, mais ça n’aura pas duré. J’ai toujours trop de sud dans mon ouest, comprenne qui pourra.
Et ce samedi, dans la matinée, monsieur de Bergerac est mort, lâchement assassiné.
Dimanche 2 février
Une semaine, et entre ¼ et 1/3 du trajet effectué. Vu les prévisions pour la semaine, je dirais plutôt ¼ : ça ne va pas souffler brouzoufes.
Position du moment 18°03N, 24°44W, au nord du Cap Vert.
Moyenne sur une semaine : 127 nM soit 5,4 kt
Vos commentaires
# Le 12/02/20, France En réponse à : Carnet de bord 6
Magique, je suis là, avec toi, au milieu de l’océan, à regarder les poissons volants...
Merci ami.