Accueil > blog > 7 mois après : un bilan (mitigé) du « mariagepourtous » (2e partie)

[blog] 7 mois après : un bilan (mitigé) du « mariagepourtous » (2e partie)

samedi 4 mai 2013

(suite de la première partie)

Fin novembre, je suis contacté par une personne (très) proche du pouvoir actuel qui me propose, après quelques échanges, un rendez-vous pour évoquer la situation du projet de loi, dont l’examen n’a pas encore commencé à l’assemblée.

Lors de cet entretien, début décembre, je viens avec un document qui démonte le caractère a-confessionnel des opposants [1]. En utilisant simplement Google, j’ai réussi à remonter 17 associations ou collectifs sur les 26 qui composent alors le collectif [2]
Et puisque c’est un milieu que je connais, j’affirme que ce n’est pas le mariage en tant que tel qui posera problème, mais les questions de filiation (adoption ou PMA), et encore plus, les questions de bioéthique (la GPA) qui seront soulevées. Si la question de la GPA peut être facilement évacuée, PMA et adoption réclameront une attention et un effort d’explication tout particuliers.

J’exprime également mon inquiétude de voir le Parti Socialiste, qui se lance tout juste dans la bataille, faire de ce sujet un marqueur politique, qui amènera inéluctablement un clivage profond sur ce qui devrait être un sujet rassembleur et non partisan.

Enfin, je propose un plan d’action pour organiser la communication sur le projet de loi, visant à donner une visibilité aux partisans, dédramatiser et expliquer les enjeux. Rien que de très classique.

Ce document a été lu au plus haut sommet de l’Etat, puis remis à Harlem Désir début décembre (et aux cabinets de D.Bertinotti, NVB et C. Taubira - mais dans ce cas, je n’ai pas eu confirmation que cela ait été effectivement fait).

Le PS a choisi délibérément une stratégie en totale opposition à celle que je proposais, c’est bien sûr son droit.
Il ne s’est pas employé à fédérer autour du projet de loi, et a joué l’exact opposé, préférant le clivage politique à la pédagogie, l’explication, et le rassemblement.
Il a choisi d’ignorer les inquiétudes, notamment inconscientes, portées par les questions de filiation, et s’est laissé enfermer dans la la thématique de la GPA.
Cette tactique a fonctionné sur l’ouverture du mariage aux couples homosexuels, mais le résultat est pitoyable, puisque la violence a explosé, et le projet de loi sur la famille (et la PMA) est enterré, et les autres réformes sociétales également.

L’inter-LGBT aura brillé par son absence pendant ces 7 mois.
Certes Nicolas Gougain ne s’est pas ménagé pour aller de plateau en débat remplir son rôle de porte-parole. Mais lui qui, dès le mois de novembre, expliquait tranquillement partout que “de toute façon la loi sera votée” a été aux abonnés absents dès lors qu’il s’est agit de discuter avec lui stratégie de communication, pour que l’inter coordonne les collectifs (qui tardaient à apparaître) et autres associations. Résultat, là où les antis avaient une bonne demi-douzaine de porte-paroles qui sillonnaient la France et les plateaux, les partisans du projet n’avaient que N.Gougain, C.Fourest (et, bien plus tard, E. Binet le rapporteur du projet de loi).
Il est d’ailleurs symptomatique que les deux dernières manifestations, à l’Hôtel de Ville et place de la Bastille, aient été organisée par Act-up, et que l’inter ait fini - tardivement - par rejoindre la liste des organisateurs.
Je connais de l’intérieur les difficultés d’animation d’une fédération, mais l’inter-lgbt devra s’interroger sérieusement sur ses capacités à organiser, structurer et coordonner un combat médiatique, au delà de sa capacité à discuter avec les politiques.

Que va-t-il rester de ces 7 mois ?

Le plus important : la loi va être d’ici quelques jours promulguée, sauf (très grosse) surprise, et servira de marqueur dans l’évolution des droits des minorités, de notre minorité, et leur reconnaissance à part entière.

La violence, la haine qui n’a cessé de progresser depuis janvier, y compris au parlement (où, pour avoir suivi tous les débats, je peux témoigner d’une vraie libération de parole homophobe en hausse constante) finira par retomber, progressivement. Heureusement.

A titre personnel, j’ai aujourd’hui du mal à évaluer l’impact global de ces sept mois de travail.

Je sais avoir rempli un espace, tant sur l’aspect documentaire qu’argumentaire, que personne n’avait pris, et probablement assez bien puisque personne d’autre n’a cherché à le faire également.

J’ai un souvenir pénible, encore fort aujourd’hui, de ces journées à essayer de monter une coordination inter-collectifs, où tout finalement échoue pour une virgule mal placée, ou presque. Ou de ce media soit disant digne de confiance dont le comportement s’est révélé largement plus individualiste ou malhonnêtre que communautaire et militant.

Heureusement, en contrepartie, j’ai bien sûr quelques fiertés, comme ce rendez-vous politique, même s’il ne fut pas suivi d’effet ; d’avoir été le premier à exposer le côté très confessionnel des antis ; ou avoir été ce "french activist" (publié -quand même- par le HRC) à l’origine des « révélations » de médiapart (j’aurais dû demander un © pour le "internationale catholique") ; et sinon la fierté d’avoir apporté une pierre à l’édifice d’un mouvement collectif, et voir, parfois, souvent, cette pierre ricocher, devenir plus grosse, et rebondir de plus belle dans les mains d’autres, plus experts à ce jeu là. Bref, si j’en crois mry, j’ai été un influenceur

Il restera, malgré tout (parce qu’il faut bien lui reconnaître ça), un grand coup de chapeau à F.Barjot pour avoir su rassembler autour d’elle toutes ces mouvances certes d’un même socle mais aux sensibilités très différentes, et arriver à ce que chacun mette son ego dans sa poche le temps d’un combat commun, au bénéfice d’une parole commune.

Si nous tous, partisans du #mariagepourtous : politiques, associations, collectifs, médias et individus, avions eu ce courage d’un jeu réellement et profondément collectif, nous ne leur aurions sans doute pas ouvert un tel boulevard et aurions très probablement évité que le débat se passe dans de telles conditions.

Oui, les opposants à l’ouverture du mariage civil aux couples homosexuels sont directement responsables du climat délétère et violent d’aujourd’hui.
La première responsabilité -en termes calendaires en tout cas- en incombe à l’église catholique qui n’a pas su éviter les expressions de certains de ses plus hauts dignitaires : le cardinal Barbarin qui a mis le feu aux poudres (voir la première partie), mais aussi celle là, celle-ci encore, pour ne citer que ça).
Elle découle également directement des organisateurs du collectif des opposants qui, à coup d’amalgames douteux (exemple ici, ici , ici ou enfin ici), ont libéré une parole odieuse, qu’ils n’ont pas voulu ou su contrôler, leur a échappé pour finalement exploser en une homophobie cette fois bien réelle et "palpable".

L’incapacité des acteurs pro-mariage à mettre en place un mouvement de masse unifié, dont la force et la visibilité auraient surpassé, de loin, celle des opposants au projet de loi, n’a pas aidé à contenir la parole odieuse de ces derniers mois.

Mais surtout, j’en veux au parti socialiste, à sa direction et au gouvernement.
Pour une simple tactique politique, visant à redorer un blason quelque peu terni, ils ont choisi, en toute connaissance de cause, l’affrontement direct en lieu et place de l’apaisement, et l’explication dont ils seraient sortis grandis à moyen ou long terme.
Mais leur choix, et l’échec qui en découle à contenir le déferlement homophobe de ces dernières semaines, à prévenir la radicalisation du mouvement des opposants, et l’abandon de réformes sociétales d’importance, sur lesquelles ils avaient fait des promesses définitives, leur coûteront bien plus cher qu’ils n’osent l’imaginer aujourd’hui. Ils ont fait une erreur stratégique majeure, pour eux même, et pour la France.

Il y a quelques jours, mon contact "proche du pouvoir" m’envoyait un mail douloureux et inquiet, me disant notamment

C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt”, disait Marguerite Yourcenar.

Notes

[1de manière beaucoup plus détaillée que dans ce post, puisque j’y donne également des informations pour lesquelles je n’ai pas de preuves formelles à ce moment là

[2A quelques détails près, c’est ce que LeMonde détaillera en mars 2013 en publiant son enquête

Vos commentaires

  • Le 07/05/13, ydikoi En réponse à : 7 mois après : un bilan (mitigé) du « mariagepourtous » (2e partie)

    Je pense que tu te trompes sur l’église catholique (j’avais bien perçu que tu parlais de ça), pour deux raisons :

    L’église a beaucoup appris du débat similaire qui a eu lieu en Espagne il y a quelques années, où elle était en première ligne, tout en laissant une liberté de parole à ses ministres et ouailles. Le résultat est qu’elle en sort assez déchirée.
    En France, ils ont pris le contre-pied exact, n’apparaissant pas en première ligne, laissant cette place à Barjot et des associations écrans. De ce fait, ils sont « assez propres », et les dérapages des evêques se sont fait à la marge.
    Ceux qui pourraient se sentir blessés par son positionnement, même en sous-main, comme toi, ou moi, ou d’autres, sont finalement assez minoritaires, et face à tous les autres, l’église s’est positionnée sur une valeur inattaquable : la défense du « plus faible ».
    Sans compter qu’elle a réussi à faire émerger une génération de jeunes cathos prêts à concilier foi et vie publique.
    Donc je confirme : je ne crois pas à un déclin, sauf à la marge :-)

    répondre ︎⏎

  • Le 07/05/13, bertil En réponse à : 7 mois après : un bilan (mitigé) du « mariagepourtous » (2e partie)

    je parlais de l’Institution ecclesiale, de l’Eglise Catholique. Je suis assé convaincu d’un retour de baton important. Une fois le mariage admis par le grand nombre, il restera le souvenir du refus obstiné des cardinaux, de leur volonté d’exclure. Je n’ai pas trouvé une seule parole officiel réconfortante venant de l’Eglise, pour attenuer. Par contre l’auto-délivrance de certificat de non-homophobie, oui, par wagons. La mise en avant d’un type comme Philippe Arino est incroyable. Vu l’état de l’Eglise, ce positionnement communautariste est proprement suicidaire politiquement à moyen terme. Ca ne me réjouit pas particulierement.

    répondre ︎⏎

  • Le 07/05/13, ydikoi En réponse à : 7 mois après : un bilan (mitigé) du « mariagepourtous » (2e partie)

    Oui, le coup de comm’ a été excellent. Et comme je le disais plus tôt, il leur a permis de clamer en toute bonne conscience leur respect des homosexuels.
    Il est évident que beaucoup, comme pour le PACS, auront vécu ce moment comme un marqueur, familial, sociétal, politique.
    Mais je crois que les institutions survivront, par contre :)

    répondre ︎⏎

  • Le 06/05/13, bertil En réponse à : 7 mois après : un bilan (mitigé) du « mariagepourtous » (2e partie)

    J’ai trouvé ton blog un peu par hasard (mais y a pas de hasard) et je fais le rapport avec le site lemariagepourtous.info (qui m’a servi de « boîte à outils » un bon moment). Donc primo : MERCI
    Secundo, j’ai moi aussi bien ressentie la rudesse politique du gouvernement et sa responsabilité dans la dégradation du débat.
    Tertio ; la force de Barjot est d’avoir muté l’homophobie latente des troupes catho en défense de l’enfant à venir !(j’ai la même famille que toi je pense, et je sais de quoi je parle en terme d’homophobie latente). Imparable et génialement simple : la bonne conscience pour eux, la mauvaise (le doute ?) pour nous. La preuve ultime pour les antis, ils arrivent même à faire témoigner des homos trop heureux de pouvoir être enfin acceptés par ceux qui les rejettent au fond.
    Pour moi la fracture avec mes parents est évidente, mais encore plus avec l’Eglise. Le sentiment d’avoir été mis dehors grossièrement peut-être. Je pourrais m’en moquer, mais au fond je suis triste de voir ces Prélats foncer tête baissée avec le troupeau vers la falaise. Pas sûr que l’Institution tienne le coup bien longtemps.

    répondre ︎⏎

  • Le 06/05/13, ydikoi En réponse à : 7 mois après : un bilan (mitigé) du « mariagepourtous » (2e partie)

    Sans compter que déjà en novembre, je leur ai expliqué que cette stratégie avait une issue inexorable : l’abandon de la PMA pour les couples de lesbiennes, qui a été confirmé hier soir.

    répondre ︎⏎

  • Le 06/05/13, ydikoi En réponse à : 7 mois après : un bilan (mitigé) du « mariagepourtous » (2e partie)

    @Guillaume : la question n’était pas d’être clivant, ou pas. Le sujet était naturellement clivant, et comme tu le dis, dans 10 ans, quel que soit l’avenir, on se souviendra que c’est la gauche qui a fait passer cette réforme.
    Justement, c’est en partant de ce constat que j’ai expliqué qu’il y avait tout intérêt à faire de la pédagogie sur le texte, sachant que les opposants allaient naturellement s’enferrer dessus, de toute façon, tous seuls. La réponse que j’ai obtenue était « pas la peine, tous les homos votent déjà à gauche ». Ben tiens. (oubliant, au passage, tous les hétéros qui sont en faveur du projet).
    La connerie qu’ils ont faite n’est pas de cliver, mais de refuser d’entendre l’évolution prévisible des antis : ils avaient les moyens de l’anticiper, et de la contrôler. Ils l’ont refusé, par « jeu » politique. Et les homos étaient au milieu, à compter les coups qui tombaient sur eux.

    répondre ︎⏎

  • Le 06/05/13, Guillaume En réponse à : 7 mois après : un bilan (mitigé) du « mariagepourtous » (2e partie)

    Par contre, je suis d’accord avec toi quand tu dis

    L’incapacité des acteurs pro-mariage à mettre en place un mouvement de masse unifié, dont la force et la visibilité auraient surpassé, de loin, celle des opposants au projet de loi, n’a pas aidé à contenir la parole odieuse de ces derniers mois.

    Je pense que les pros se sont « gentiment » laissés reposés sur la majorité parlementaire, qui, à de grandes chances, allait donner la majorité sur le vote.

    répondre ︎⏎

  • Le 06/05/13, Guillaume En réponse à : 7 mois après : un bilan (mitigé) du « mariagepourtous » (2e partie)

    Pour en avoir discuté de temps à autre avec toi, je pense que l’article ne reflète pas encore suffisamment ce qu’ont pu supporter les cibles des attaques de antis. Mais bon, pudeur ou mauvaise lecture, on peut simplement l’imaginer, la multiplier par 2 ou 3 et penser aux dégâts physiques et psychos que cela a entrainé.

    Je suis plus partagé sur

    Mais surtout, j’en veux au parti socialiste, à sa direction et au gouvernement.
    Pour une simple tactique politique, visant à redorer un blason quelque peu terni, ils ont choisi, en toute connaissance de cause, l’affrontement direct en lieu et place de l’apaisement, et l’explication dont ils seraient sortis grandis à moyen ou long terme.

    Je comprends le souhait légitime d’unir et d’apaiser, sauf que le sujet est si symbolique, qu’y compris dans ses rangs, le PS avait besoin d’être le plus clivant possible. Qu’on soit pour ou contre, il fallait prendre position. La question est trop sociétale pour qu’elle reste tiède dans les esprits. Tu l’as vécu au plus près.

    Et puis, les Français ont la mémoire courte, les conséquences seront que la droite s’est reconstitué en réseaux, que la gauche a gagné une victoire sociétale (dont tout le monde aura oublié qui l’a voté dans 10 ans), la France une avancée progressiste. Cela n’a fait qu’amplifier (ressortir ?) les vrais clivages sociétaux gauche/droite.

    répondre ︎⏎

  • Le 05/05/13, Matoo En réponse à : 7 mois après : un bilan (mitigé) du « mariagepourtous » (2e partie)

    Ah ok, « partie prenante » était en effet bien euphémistique. :)
    Je suis très très très admiratif. Merci !! <3

    répondre ︎⏎

blog | photo | web | Suivre la vie du site RSS 2.0 | made with SPIP depuis 2003