Maintenant que le flot de conneries au sujet de l’iPad , répétant les mêmes critiques superficielles qu’à la sortie de l’iPhone, s’est tari, il est peut être temps d’essayer d’être un peu moins con.
Cette information est passée inaperçue, puisque donnée dans les dix premières minutes de la keynote. Pourtant, il faut bien dire que le nouveau positionnement stratégique d’Apple a de quoi surprendre : historiquement fabricant d’ordinateurs, « Apple Computer Inc. » avait déjà laissé tomber le « computer » à l’occasion de la présentation de l’iPhone. Mais c’est encore un pas en avant qui vient d’être fait, en répétant plusieurs fois qu’Apple était « a mobile device company ».
Jobs ne parle plus d’ordinateurs, pas non plus de logiciel, juste d’objets portables. Les concurrents ne sont plus les historiques IBM ou Microsoft, mais Sony (et ses camescopes donnés en exemple), Nokia, ou encore Samsung.
Sans savoir précisemment aujourd’hui ce que cela nous réserve pour le futur, il est bien évident que la sortie de l’iPad s’inscrit dans ce nouveau motto. Et donc, autant le dire clairement, l’iPad n’est pas un ordinateur.
Il n’est donc pas là pour remplacer, de près ou de loin, le plus faible des ordinateurs Apple. Pas question pour lui de trainer dans la sacoche de l’homme d’affaire qui se trimballe toute la journée avec son macbook, tapant ses compte-rendus de réunion, préparant ses présentations ou agrégeant des chiffres les uns sur les autres.
Il n’est pas non plus destiné au geek moyen, qui veut surfer sur internet tout en chattant avec ses potes, en vérifiant ses mails toutes les cinq secondes, parallèlement à une conversation skype et le téléchargement d’un fichier torrent quelconque.
Au vu des caractéristiques de la machine, on devrait pouvoir imaginer un certain nombre d’usages :
- j’ai un ordinateur chez moi, de bureau. J’aimerais parfois, vautré dans mon canapé, surfer sur le net, éventuellement en écoutant de la musique. Je pourrais avoir un ordinateur portable, mais c’est cher, c’est lourd, et ce n’est pas le genre d’objet qu’on laisse traîner dans le salon.
- j’ai une réunion une ou deux fois par mois. Dans le train j’aimerais regarder un film pour passer le temps, ou lire un bouquin et écouter de la musique en même temps ; et une fois en réunion, garder sous le coude les documents que j’aurais pu y apporter. Là aussi, un ordinateur portable serait une solution, mais là aussi, cher, encombrant et lourd. Un mauvais rapport qualité prix.
- je suis artiste, photographe, graphiste, sculpteur. Entre les visites de galeries, clients, et autres, j’ai besoin d’un outil pour présenter facilement mon travail.
- j’ai une boutique, genre une grosse librairie. J’ai bien un ordinateur que mes employés peuvent consulter pour renseigner les clients, mais il est à poste fixe : les employés font la queue pour l’utiliser, et ils perdent beaucoup de temps à se déplacer vers l’ordinateur.
- je je suis un organisateur d’évènementiels. Lors d’un évènement je dois courir de droite à gauche, répondre au téléphone et à toutes les questions et urgences qui se présentent toutes les minutes. J’ai besoin d’un outil informatique léger, peu encombrant, puissant, toujours disponible.
- je n’ai pas d’ordinateur chez moi, je n’en ai pas l’utilité. Bien sûr, je ferais bien quelques courses sur internet, mais un ordinateur est cher, compliqué et complexe.
Ce sont tous des cas vécus. Autant dire que, même si toutes ces personnes ne passent pas à l’achat, le marché potentiel de l’ipad n’est pas si négligeable que certains voudraient le croire.
Pour autant, l’ipad n’est qu’un outil, certes nouveau et innovant, mais rien de plus. Aucunes des possibilités qu’il offre aux éditeurs de contenu ne sont nouvelles : le texte, les videos, le son, via safari ou une application dédiée. Il ne rend pas le contenu plus intelligent, il propose juste une nouvelle manière de le consulter.
Il est apparu un jour, dans les rumeurs, que la future tablette d’Apple serait le paradigme du métier de journaliste, qui la sauverait en offrant - enfin - une alternative crédible - et rentable - au papier. Ce serait pourtant oublier que le métier de journaliste n’est pas de fabriquer du papier, et deviendrait demain on ne sait quoi. Le métier de journaliste est, et à toujours été, et sera toujours, d’enquêter, vérifier, informer.
Ce n’est pas à Apple de sauver la presse avec un nouvel appareil. C’est à la presse de se prendre en main, aux journalistes de retrouver les valeurs originelles de leur métier. Le jour où ils seront meilleurs que des blogueurs, on arrêtera de lire les blogueurs, et on relira les informations.
Sur un journal papier, ou sur un iPad. Ca n’a aucune importance.