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[blog] En lycra, tous les PDG se ressemblent

dimanche 13 juin 2010

Il faisait encore nuit. J’avais mal dormi, entre le vacarme de la pluie sur les fenêtres et l’inquiétude d’arriver à me lever à l’heure. 4h25, le téléphone sonne, c’est MJ qui me réveille. Il pleut encore dehors, l’alerte orange n’est pas finie. Douche rapide, petit déjeuner expédié, je prends la moto au moment où la ville coupe l’éclairage nocturne. Le jour n’est pas encore levé et, avec la pluie qui redouble d’intensité, on ne voit pas grand chose. Je traverse le pont Alexandre III pour rejoindre l’avenue Georges V, l’averse forme un véritable brouillard sur la Seine, à l’est. C’est magnifique.

Nous nous retrouvons tous dans cet hyper chic restaurant, cinq motards au milieu de soixante cyclistes. L’ambiance est un peu irréelle, eux plus habitués aux costards-cravates, acteurs plus ou moins discrets des grandes entreprises cotées aux CAC40, en combinaison lycra. Et nous, tout de cuir vêtu (mais avec combinaison de pluie), peu habitues à voir des hordes de maître d’hôtel nous servir un copieux petit déjeuner avec des cafetières en argent, vautres dans de confortables fauteuils en velours rouge. 

6h30, nous partons finalement. Place de l’Etoile, avenue Foche, bois de Boulogne, etc, ... nous bloquons la circulation pour que le peloton, encore groupé, puisse tenir son rythme. Peu de voitures encore à cette heure, c’est pour nous un jeu d’enfant qui impressionne les cyclistes, qui ne poseront pas le pied à terre une seule fois avant la première pose. Il est 9h, nous venons de quitter la banlieue parisienne, la pluie finit par se calmer un peu, un café chaud et des sandwich nous attendent dans cette auberge chic, qui pourrait être cotée au Michelin. Puis nous repartons pour la partie la plus éprouvante de cette course. 

Le peloton ne peut pas tenir ses 30 km/h de moyenne, les orages ont été particulièrement violents dans cette région, la route est à plusieurs endroits coupée sur des dizaines de mètres par des cailloux qui imposent d’aller au pas. Plus loin, c’est même une coulée de boue de plusieurs centimètres d’épaisseur qui nous bloque le passage. Genoux serrés sur le réservoir, un filet de gaz régulé avec l’embrayage, le regard droit devant, nous essayons de franchir l’obstacle sans encombre. Mes pneus sont usés, une ou deux fois l’arrière fait mine de se dérober, et l’anti patinage de ma BMW s’emmêle un peu les pinceaux, me donnant quelques sueurs froides. Puis rapidement, c’est l’avant qui décroche, et je ne peux rien faire pour contrôler mon guidon. Tomber, encore, je l’envisage, ça serait désagréable voire humiliant. Mais à ce moment, motos et cyclistes sont cote à cote, et si la moto venait à se coucher, elle faucherait du même coup un ou deux coureurs ... stress ! Je ne sais pas par quel miracle, je suis finalement resté debout, la moto retrouvant, sur les deux épisodes boueux, son chemin jusqu’à l’asphalte.

Le soleil a fini par pointer timidement son nez, rendant nos acrobaties plus faciles à réaliser : devancer la voiture ouvreuse pour repérer la route, s’installer au carrefour pour bloquer la circulation le temps que les coureurs le franchissent puis, le dernier passé, remonter tout le peloton. Sur les routes étroites, il faut se glisser progressivement dans le peloton, attendre d’être repéré par le cycliste devant qui se poussera, juste un peu, l’espace strictement nécessaire, et se glisser devant, la roue frôlant le talus et le rétroviseur le cycliste ; quand il y a deux voies de circulation, les warning allumés, nous sommes debout sur les cale-pieds, faisant de grands signes aux voitures qui arrivent en face pour qu’elles se collent contre le bas-cote et, à les croiser, nous les remercions d’un grand geste, très souvent rendu en retour. 

Nous avons mis 11 heures pour rejoindre la -très chic, of course- station normande, pauses comprises, à une moyenne probable de 30 km/h. Heureusement, nous n’avons rencontré aucune force de l’ordre, qui aurait sans doute été très étonnée de voir notre interprétation du code de la route, et les libertés que nous prenions pour organiser la circulation autour -et pour le profit - de notre peloton. Mais pas une fois cependant nous n’aurons eu à subir d’énervements des automobilistes, qui ont toujours regardé les cyclistes et leur service d’ordre avec bienveillance et gentillesse (il faut dire que les remerciements des uns comme des autres étaient constants). 

A l’arrivée, Impossible de dire, curieusement, qui des cyclistes ou nous était les plus épuisés, tant l’exercice est physique et demande -même à 30 à l’heure- une concentration sans faille. Mais la récompense était à l’arrivée puisque, outre le plaisir pris et la satisfaction d’avoir bien fait notre boulot, nous avons été longuement applaudis par les coureurs qui, croyant avoir à faire à des bénévoles de la police nationale, ont écouté avec grande attention notre présentation de motards en colère, et des notions de liberté, sécurité, responsabilité, partage de la route que nous avions mis en œuvre pendant cette journée. Et la plus belle des récompenses a sans doute été ces deux cadres, haut dirigeants, motards, qui nous ont annoncé vouloir adhérer à la FFMC ; et ce PDG nous disant au-revoir : « je n’avais pas du tout cette image là des motards en colère. Je parlerai de vous, comptez sur moi ». 

P.-S.

Posté de mon iPad, en terrasse au bord de la mer. Of course ;)

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