C’est par un tweet de Narvic que je suis tombé sur cet article de Rue89 consacré aux sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, et à leur dernière enquête sur la défense par la bourgeoisie de leur espace.
Enfin, quand on dit « la bourgeoisie », c’est aussi vaste que réducteur, puisqu’apparemment, il s’agit autant de l’aristocratie que la bourgeoisie financière ou la jet-set (c’est en tout cas ce qu’évoque pour moi le titre de leur livre « le ghetto du gotha », titre certes dû à l’éditeur).
Plus que l’article, c’est le reportage consacré à nos deux sociologues sur une chaîne publique et disponible -pour combien de temps encore ?- sur Internet qui m’a intéressé. Ils ont en effet été suivi dans leurs rencontres, avec un point commun : personne ici n’intervient comme bourgeois, comme capitaliste ou jet-setteur. Ce sont exclusivement des aristocrates qui sont interviewés, et tous sur le thème - ça tombe bien, c’est le thème officiel de l’étude - de la défense des espaces (naturels, historiques, sociaux, …).
Si vous regardez jusqu’à la fin - ce que je ne peux que vous conseiller -, quelques petites remarques :
- Les Pinçon ont réussi remarquablement un exercice particulièrement difficile : faire parler une catégorie de personnes (caste ?) habituellement partisane de la discrétion. C’est un vrai tour de force.
- A la différence de certaines émissions sensationnalistes, ce qui est présenté est un quotidien, des valeurs et croyances, approches de vie, qui ne sont pas caricaturales (dans l’ensemble). Oubliez les châteaux, oubliez l’argent : ce que disent ces gens là est globalement représentatif. Ils portent des patronymes connus (Harcourt, Nicolay, rohan …), mais vous retrouverez la même construction d’esprit chez bien d’autres, une grande majorité d’entre eux, quelque soit le nom qui suit la particule, leur position sociale ou économique.
En même temps que je dis cela, je suis gêné par un aspect très fort de ce reportage. Les Pinçon ne s’en cachent pas, ils cherchent à comprendre comment fonctionne cette « oligarchie », pour mieux la détruire (cf infra). Il s’agit donc autant d’une démarche sociologique (leur métier) que militante et politique. Autant ils décortiquent les mécanismes de cette classe sociale, autant ils greffent dessus des arrières pensées, plus politiques et franchement désagréables. Exemple tiré de l’épisode 5 (à partir de 2"30) :
Monique Pinçon : on était sur la stratégie de condescendance … Vous me recevez […] vous êtes très très gentil avec moi, extrêmement courtois […] vous me mettez totalement à l’aise […] et […] dans la politesse extrême, y’a une façon de nier la distance sociale, tout en affirmant la distance sociale.
La politesse, le respect de l’autre, l’altruisme, …ne seraient pas, chez les aristos, des valeurs en soi, culturelles, éducationnelles ; mais avant tout des moyens d’affirmer la domination. Rien n’est gratuit, tout est chargé d’arrières pensées, forcément négatives.
Et c’est là le gros défaut (à première lecture) de cette enquête : tout n’est qu’occasion de réaffirmer le combat de classe, de dénoncer un rapport de domination, d’appeler à la révolution. Il suffit de regarder la présentation faite aux « Mercredis des amis de l’Humanité » pour s’en convaincre, où le discours du sociologue s’efface complètement devant celui du militant révolutionnaire (à partir de 9’30) :
Ils sont forts, ils sont extraordinairement forts, et c’est cette force qu’il faut décortiquer pour arriver à dépasser cette force, la renverser. C’est un peu le sens de notre travail.
C’est dommage, vraiment.
Mais je me précipite malgré tout sur le bouquin (apparemment épuisé, mais disponible en version électronique) pour vérifier s’il ne s’agit que d’un biais dû (encore une fois ?) au spectre télévisuel…
Les videos :
Vos commentaires
# Le 13/07/10, François En réponse à : Ô toi mon cœur et mes entrailles
rooooo, ça c’est pas le mauvaise foi, c’est un argument éhonté et honteux. je dis faute absolue ! présenter un rêve écolo-humoristique en tant que choix bourgeois ne peut être qu’une distorsion flagrante de la vérité.
D’autant que si le ramage (les sous-sous) valait le plumage (le nom), je roulerais en allemande qui coûte un oeil, et je pourrais crier « antisocial, tu perds ton sang froid ! ».
Bon, je reconnais, je suis trés trés motard sur ce coup ;-)
répondre ︎⏎
# Le 12/07/10, Ydikoi En réponse à : Ô toi mon cœur et mes entrailles
Non non, tu as parfaitement raison !!
De la même manière que si tu présentes cette page à un des 3 ? 4 (je crois) millions de pauvres, il te dira à peu près totalement exactement la même chose.
http://shrt.fr/69f
Ah merde, j’oubliais, je suis motard. Aussi.
:-)
répondre ︎⏎
# Le 12/07/10, François En réponse à : Ô toi mon cœur et mes entrailles
allez, pour te faire plaisir, je vais faire mon prolo à poil dur.
ces sociologues étudient la classe dite supérieure pour l’éradiquer. D’un coté, il faut tout connaitre de son ennemi, mais d’un autre coté, ils vont trouver qui pour le nettoyage ?
en parallèle, la lutte de classe n’existe que quand il n’y a plus d’espérance d’évolution, et en ce moment, c’est là que le bât blesse (je dis en ce moment, mais ça fait 10 ans que ça dure !!)
pour la bonne bouche et parce que je suis motard, donc, d’une mauvaise foi évidente, je mets un petit lien pour bien montrer que les inquiétudes de classe ne sont pas vraiment les mêmes d’un bord à l’autre de l’échiquier
http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/06/27/la-bourgeoisie-parisienne-defend-son-pre-carre_1378801_3224.html
mais c’est juste de la mauvaise foi, n’est ce pas ? O :-)
répondre ︎⏎
# Le 10/07/10, Ydikoi En réponse à : Ô toi mon cœur et mes entrailles
@ Bashô : oui mais non, et inversement :-p
Que Arnault ( ou autres Bolloré) soient des parvenus, surtout aux yeux des ’vieilles familles’, cela ne fait aucun doute.
mais là où ça devient plus compliqué, et les Pinçon ont mis le doigt dessus, c’est que les enfants de ces gens là fréquentent les mêmes rallyes et autres mondanités que les enfants de la noblesse & autre haute bourgeoisie, et que des mariages ont déjà eu lieu (je crois que Rue89 en parle au sujet de la fille Arnault). Ça n’est jamais que la vieille histoire de la rencontre entre la noblesse de souche, et la bourgeoisie fortunée (oserais-je dire, la noblesse d’argent ?)
Et les politiques, c’est encore une chose à part, il me semble ...
Et, par pitié, arrêtons de parler de ’classe supérieure’ !!
répondre ︎⏎
# Le 10/07/10, Ydikoi En réponse à : Ô toi mon cœur et mes entrailles
@ Bashô : désolé, j’oublie toujours ... Le titre est le premier vers d’un poème (que je trouve assez joli par ailleurs) d’une comtesse (ou duchesse ?) assez représentative de certains vieux aristos qui utilisent des termes, aujourd’hui perçus comme dénigrants ou insultants, comme ’petit personnel’ ou ’soubrette’ ; elle a juste oublié (ou n’a pas vu) que le XX et le XXIe siècle sont passés par là ;)
@ Narvic : je ne dis qu’ils tendent des pièges (même si, à la lueur du reportage, on pourrait le penser, Pinçon déclarant lui même ’nous sommes un peu faux-culs’ en sortant du premier entretien filmé).
Je ne conteste pas (ici du moins) le concept de la lutte des classes (si j’ai bien compris la lecture en diagonale de l’article consacré à Bourdieu, c’est cela qui le distingue).
Non, ce que je regrette ici, à la simple vision du reportage (et que je veux donc vérifier avec le livre), ce sont deux choses :
Mais, encore une fois, je me lance dès ce WE dans la lecture du bouquin (merci l’ipad ;) ) afin de confirmer - ou infirmer - tout cela.
répondre ︎⏎
# Le 09/07/10, Bashô En réponse à : Ô toi mon cœur et mes entrailles
Je viens de lire l’interview et je suis peu dubitatif. C’est sans doute le format court de l’interview qui veut cela mais la complexité des relations au sein des classes supérieures est plutôt évacuée. Ainsi, si Liliane Bettencourt peut considérer disons par exemple la duchesse d’Urzès comme un pair, jamais elle ne considérera Florence Woerth sur un pied d’égalité car primo c’est une salariée et secundo elle travaillait pour elle. De même, je crois que la vieille noblesse considère Arnault et alter comme des parvenus.
répondre ︎⏎
# Le 09/07/10, Bashô En réponse à : Ô toi mon cœur et mes entrailles
pensé au lieu de penser...
répondre ︎⏎
# Le 09/07/10, Bashô En réponse à : Ô toi mon cœur et mes entrailles
Et peut-on m’expliquer la raison du titre ? puisque ce n’est pas sous-titré ? :)
Sinon, ça m’a fait penser à ce passage du côté des Guermantes :
"Je pus facilement, ce soir-là, en voyant Saint–Loup à la table de son capitaine, discerner jusque dans les manières et l’élégance de chacun d’eux la différence qu’il y avait entre les deux aristocraties : l’ancienne noblesse et celle de l’Empire. Issu d’une caste dont les défauts, même s’il les répudiait de toute son intelligence, avaient passé dans son sang, et qui, ayant cessé d’exercer une autorité réelle depuis au moins un siècle, ne voit plus dans l’amabilité protectrice qui fait partie de l’éducation qu’elle reçoit, qu’un exercice comme l’équitation ou l’escrime, cultivé sans but sérieux, par divertissement, à l’encontre des bourgeois que cette noblesse méprise assez pour croire que sa familiarité les flatte et que son sans-gêne les honorerait, Saint–Loup prenait amicalement la main de n’importe quel bourgeois qu’on lui présentait et dont il n’avait peut-être pas entendu le nom, et en causant avec lui (sans cesser de croiser et de décroiser les jambes, se renversant en arrière, dans une attitude débraillée, le pied dans la main) l’appelait « mon cher ». Mais au contraire, d’une noblesse dont les titres gardaient encore leur signification, tout pourvus qu’ils restaient de riches majorats récompensant de glorieux services, et rappelant le souvenir de hautes fonctions dans lesquelles on commande à beaucoup d’hommes et où l’on doit connaître les hommes, le prince de Borodino—sinon distinctement, et dans sa conscience personnelle et claire, du moins en son corps qui le révélait par ses attitudes et ses façons—considérait son rang comme une prérogative effective ; à ces mêmes roturiers que Saint–Loup eût touchés à l’épaule et pris par le bras, il s’adressait avec une affabilité majestueuse, où une réserve pleine de grandeur tempérait la bonhomie souriante qui lui était naturelle, sur un ton empreint à la fois d’une bienveillance sincère et d’une hauteur voulue. Cela tenait sans doute à ce qu’il était moins éloigné des grandes ambassades et de la cour, où son père avait eu les plus hautes charges et où les manières de Saint–Loup, le coude sur la table et le pied dans la main, eussent été mal reçues, mais surtout cela tenait à ce que cette bourgeoisie, il la méprisait moins, qu’elle était le grand réservoir où le premier Empereur avait pris ses maréchaux, ses nobles, où le second avait trouvé un Fould, un Rouher."
répondre ︎⏎
# Le 09/07/10, narvic En réponse à : Ô toi mon cœur et mes entrailles
Poursuis tes investigations sur l’ensemble du travail des Pinçon sur la bourgeoisie et la « haute société ». ;-)
Ils n’ont jamais caché, d’abord à leur interlocuteurs, et ensuite à leurs lecteurs, qu’ils sont des sociologues « bourdieusiens ». Leur démarche est sans équivoque, ni ambiguïté, avec personne. Il ne tendent aucun piège et avancent à visage découvert. Et la « haute société » a accepté de les recevoir pour leurs enquêtes en fonction de ce programme.
Ça ne fait que mettre un peu plus en évidence la qualité de leur travail, à mon humble avis.
répondre ︎⏎